La responsabilité des clubs vis-à-vis du comportement de leurs supporters.

Une question cruciale dans la lutte contre les violences dans le football : un club peut-il être rendu responsable des agissements de ses supporters alors que la loi pénale veut que l'on ne puisse jamais punir que le responsable lui-même d'un acte fautif ?

Un club dit visiteur, ou jouant sur terrain neutre, est, selon les textes sportifs, responsable des désordres qui seraient commis par ses joueurs, ses dirigeants ou ses supporters (article 129-1 du règlement de la Fédération Française de Football).

Ainsi, les règlements de la Ligue de Football Professionnel indiquent que « pour tout déplacement connu de supporters du club visiteur, celui-ci est tenu d'assurer l’encadrement de ses spectateurs à l'intérieur de l'espace visiteur au sein de l'enceinte sportive » (article 355 du règlement de la LFP). Il y est précisé également que « des règles de sécurité spécifiques peuvent être imposées par la Commission d'organisation des compétitions en lien avec la Commission nationale mixte de sécurité et d'animation dans les stades pour toutes les rencontres disputées sur terrain neutre lorsqu'elle le juge nécessaire ». 

Des précédents qui n’ont rien changé.

Suite à la finale de la Coupe de France 2004 opposant le PSG à Châteauroux, la FFF avait sanctionné le club parisien pour des incidents impliquant des supporters parisiens (jets de fumigènes et dégradations). La commission de discipline avait conclue à une peine de 30 000 Euros d’amende et d’un match à huis clos avec sursis, ramenée en appel à une somme de 20 000 Euros d’amende.

Le PSG introduisit alors un recours en annulation devant le Tribunal Administratif de Paris, dont le jugement rendu le 16 mars 2007 fit grand bruit : annulation de la sanction au motif que la règlementation de la FFF était inconstitutionnelle.

 

Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 16 mars 2007

SPECTACLES, SPORTS ET JEUX

16. Sports

Fédérations sportives - Exercice du pouvoir disciplinaire - Respect du principe de personnalité des peines

En énonçant que les clubs visiteurs ou jouant sur terrain neutre sont responsables lorsque les désordres sont le fait de leurs supporters, l’article 129.1 du règlement général de la Fédération française de football méconnaît le principe de personnalité des peines, qui fait obstacle à ce qu’une personne morale soit sanctionnée disciplinairement à raison d’agissements commis par des personnes physiques autres que ses dirigeants ou ses salariés, et est donc inconstitutionnel.

 

Source : http://www.ta-paris.juradm.fr/ta/paris/pdf/letap12.pdf

 

Ce jugement indique ainsi que le règlement de la FFF relatif à la responsabilité des clubs pour leurs supporters qui se déplacent méconnaît un principe qui est contenu dans le code pénal selon lequel « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait » (article L. 121-1 du code pénal). Responsabilité Pénale: texte de loi.

 

L’article L. 121-2 précise que « les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ».

La question sous-entendu est lourde de sens : les supporters d’un club de football en sont-ils les représentants ?!!

Les dirigeants du football français font appel à la spécificité sportive.

En réaction du jugement du TA de Paris, le Président de la LFP, Frédéric Thiriez avait à l’époque affirmé qu'un tel jugement, s'il était confirmé en appel, "aurait beaucoup d'effets néfastes. Ainsi, le club visiteur n'aurait plus intérêt à encadrer ses supporteurs, car il ne serait plus responsable de leur conduite. Le club organisateur serait poussé à refuser les supporters du club visiteur pour éviter de voir sa responsabilité engagée. Bref, tout le monde fuirait ses responsabilités pour s'en remettre à la seule police."

Bien heureusement pour lui, quelques temps après, dans une autre affaire concernant le « LOSC Lille Métropole », le Conseil d’Etat apporta une réponse favorable à la LFP…

Extrait de l’avis du Conseil d’Etat n° 307736 du 29 octobre 2007.

« Cet article (article 129-1 du règlement de la FFF) impose aux clubs de football, qu'ils soient organisateurs d'une rencontre ou visiteurs, une obligation de résultat en ce qui concerne la sécurité dans le déroulement des rencontres. »

« Le club visiteur est responsable de l'attitude de ses dirigeants, joueurs et supporters. Il est, en particulier, responsable des désordres imputables à ses supporters à l'occasion d'une rencontre. »

« Il appartient alors aux organes disciplinaires de la fédération, après avoir pris en considération les mesures de toute nature effectivement prises par le club pour prévenir les désordres, d'apprécier la gravité des fautes commises et de déterminer les sanctions adaptées à ces manquements. »

« Les règlements en cause sanctionnent ainsi la méconnaissance par les clubs d'une obligation qui leur incombe et qui a été édictée par la fédération sportive dont ils sont adhérents, dans le cadre des pouvoirs d'organisation qui sont les siens et conformément aux objectifs qui lui sont assignés. Ils ne méconnaissent pas, par suite, eu égard au pouvoir d'appréciation ci-dessus rappelé, le principe constitutionnel de responsabilité personnelle en matière pénale, qui est applicable aux sanctions administratives et disciplinaires. »

Source : http://www.droit.org/jo/20080109/CETX0811166V.html

De part cet avis qui confirme que les clubs sportifs sont responsables du fait de leurs supporters, le Conseil d’Etat a donc répondu positivement à la question de savoir si les supporters d’un club de football en sont les représentants. La spécificité sportive a parfois bon dos, en tout cas lorsqu’elle permet de tranquilliser la vie de ses plus hauts dirigeants.

Suite à la récente décision du T.A. de Paris de réintégrer le PSG en Coupe de la Ligue 2008 -2009, déjugeant ainsi la LFP puis la FFF, le Président de cette dernière, Jean-Pierre Escalettes, a réagi de la même manière que précédemment estimant que cette décision « remet en cause leur lutte contre les exclusions et le racisme », ajoutant « qu’en tant que président de la FFF, il se demande comment lutter contre ces fléaux s’il n’a pas l'appui de la justice de son pays". Jean-Pierre Escalettes omet de dire que le règlement de la FFF ne peut lui-même être au dessus de la loi. Néanmoins, la FFF va très certainement faire appel une nouvelle fois devant le Conseil d’Etat. L’avis sera-t-il le même que dans l’affaire présenté ci-dessus ? Affaire à suivre… Réaction de Jean Pierre Escalettes

Notre propos n’est pas d’exonérer totalement les clubs de leur responsabilité, même vis-à-vis de leurs propres supporters, mais de la relativiser.

Nous ne pouvons être d’accord avec la FFF ou la LFP lorsqu’elles disent que si les clubs ne sont plus responsables de leurs supporters alors cela portera atteinte à la lutte contre la violence dans les stades. Au contraire, cela portera surtout atteinte à la responsabilité de la LFP, aujourd’hui nulle, alors qu’elle est elle-même l’organisatrice de la compétition concernée. Sur fond d’exception sportive et de mission de service public du sport (concernant la FFF), leur propre règlement les dédouane de toute responsabilité.

Une véritable lutte contre la violence dans les stades ne devrait-elle pas commencer par un dialogue et une coopération entre les différents acteurs, plutôt que de perdre son temps à se renvoyer la responsabilité ?

Il apparaît d’après le règlement de la FFF et de la LFP que les spectateurs du football sont les représentants des clubs. Ne sont-ils pas également les clients indirects de la Ligue de Football Professionnel ?

 

Liens intéressants :

La justice remet en cause la responsabilité des clubs pour leurs supporteurs (27 mars 2007)

 

 

 

 

Justice sportive et supporterisme (2 nov 2007)

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